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L’annulation du mariage et les cris des “vierges” effarouchées

1.- Qu’y a-t-il à l’ordinaire de plus important pour un homme, pour une femme, dans la vie sociale, que la décision à prendre pour se marier ? Evidemment, pour être entendue, cette question suppose que l’on s’adresse à des personnes susceptibles de l’entendre. On ne parle pas musique avec un pot de chambre, ni même, à dire vrai, avec un cornet à piston. Supposons donc que ce soit le cas, et que nous parlions à des lecteurs pour qui le mariage engage bien une vie, constitue un cadre nouveau d’épanouissement de leur personnalité, à deux, homme et femme, pour constituer une famille.

C’est de toute évidence un engagement sérieux, grave même. On ne choisit pas de poursuivre une telle aventure, « pour le meilleur et pour le pire », avec le premier dindon ou la première cocotte venus. Enfin, en principe. On réfléchit, on parle, on échange, on fait des projets, on s’évalue, on cherche à se connaître comme “personnes”, au mieux aussi on prie. Puis enfin on s’engage.

Le mariage est un engagement personnel, en principe raisonné, et libre. Une expression de la liberté, de la libre détermination de soi pour inscrire désormais sa vie dans un “nous”, avec ce que cela suppose d’accueil et de don. Il n’y a dès lors rien d’étonnant à ce que le mariage procède d’abord d’un choix. Un choix porté sur l’engagement, bien sûr, mais aussi un choix porté sur la personne même avec laquelle on entend s’engager, sur ce qu’elle est.


2.- De là vient que le droit, qui protège – en principe – l’institution même du mariage, en raison de sa dimension évidemment sociale, intervient directement pour protéger le consentement libre des époux, en indiquant que le mariage ne peut pas être contracté sans lui (art. 180 du code civil). Il s’agit donc de le protéger également. Contre la violence, bien sûr, afin que le papa corse, par exemple, ou l’employeur, cela s’est vu dans les deux cas, n’oblige pas le séducteur de sa fille à l’épouser. Contre la tromperie, beaucoup moins. Un vieil adage du droit français dit qu’en matière de mariage, « trompe qui peut ». Un Labiche en tirerait des généralités sur les mécanismes de l’institution. Mais il s’agit en fait, en l’occurrence, de ne pas entrer dans les logiques parfois tortueuses de la séduction et d’éviter surtout que l’on puisse obtenir l’annulation d’un mariage pour des fadaises, parce que, par exemple, Gaston a fait croire à Claudette, pour l’épouser, qu’il était le riche héritier d’un capitaine d’industrie alimentaire alors qu’il vend des merguez à la Porte de Bagnolet. Après tout, le droit, austère et sérieux, est là pour protéger l’institution. Pas la sottise.

En revanche, la loi admet, comme cause de nullité « l’erreur dans la personne, ou sur des qualités essentielles de la personne » (même texte). En 1981 encore (ô vieilles lunes…), le tribunal de grande instance du Mans avait admis qu’il en était ainsi d’un époux qui ignorait que l’autre entretenait encore une liaison (il y a de ces esprits étroits, je vous jure…). Celui de Paris, en 2001 encore, en jugeait de même à propos d’une charmante qui n’avait caché qu’un détail à l’élu de son cœur, savoir sa pratique du plus vieux métier du monde. On jugerait peut-être cela un peu intolérant aujourd’hui. Le même tribunal, en 1996, et non sans humour, en jugeait encore ainsi à propos d’un époux qui n’avait pas la volonté de se marier durablement… Au taux actuel des divorces, si cette décision avait fait jurisprudence, les avocats spécialisés en cette matière seraient sur la paille. Plus sérieusement, les tribunaux ont également jugé qu’il y avait une telle erreur lorsqu’un conjoint s’était trompé sur la nationalité de l’autre. Il est vrai que c’était en 1918. Aujourd’hui, ce serait sapiens discriminationem…


3.- Le débat, rare sur cette matière, en raison des commodités de plus en plus larges offertes par le divorce, a été rouvert récemment, et de quelle manière ! Le tribunal de grande instance de Lille a décidé de prononcer l’annulation du mariage des époux X, musulmans français. Motif : il y a eu erreur sur la personne, le mari croyant, sur les dires de sa femme, que celle-ci était « célibataire et chaste » au moment du mariage, et toute la famille étant elle-même convaincue de ce qu’elle n’avait eu aucune relation sexuelle avant le mariage, célébré comme il se doit. Se sentant déshonoré et jugeant dès lors ne plus pouvoir faire confiance à son épouse ni pouvoir fonder une famille sur ce mensonge, reconnu par son auteur, le mari a demandé et obtenu l’annulation.

De soi, il ne s’agit là que d’un épisode purement privé, réglé selon le droit par le juge, en vertu d’une décision définitive. Privé ? Voire ! C’est sans compter sur les Censeurs publics, pour lesquels morale publique et morale privée ne connaissent pas de frontière. « La mariée n’était pas vierge. Le mariage a été annulé. Et c’est arrivé près de chez vous », titrait dramatiquement, sans rire, le journal Libération.

Mme BADINTER en a attrapé un ulcère, enfin presque : « Je suis ulcérée par la décision du tribunal d'accepter de juger ça parce que la sexualité des femmes est une affaire privée et libre en France, absolument libre ». On appréciera le « en France… », dans le contexte de notre affaire. Si privée et si libre que cela ne regarde pas le mari, naturellement, et n’a rien à voir avec le consentement au mariage. Avec un grand sens de la mesure, elle a ajouté : « Ca aboutit tout simplement à faire courir nombre de jeunes filles musulmanes dans les hôpitaux pour se faire refaire l'hymen. Et par conséquent au lieu pour un tribunal de défendre les femmes, de défendre ces jeunes femmes, au contraire il accentue la pression sur elles ». Pour conclure enfin : « Et je vous dis franchement, je pense à cette malheureuse jeune fille, humiliée, publiquement humiliée, revenant dans sa famille, ce qu'elle a dû vivre a dû être épouvantable. J'ai honte (sic) que la justice française n'ait pas pris à cœur de défendre toutes ces jeunes filles ». M. X. n’a qu’à bien se tenir car pour un peu il risquerait d’être poursuivi !

« Considérer que la virginité est une qualité essentielle de la personne pour une femme et pas pour un homme, c’est le signal d’une régression très forte pour toutes les femmes d’aujourd’hui. On nous invente une belle jurisprudence », a aussi pesté Mme ROYAL. Où a-t-elle vu que le tribunal ait fait une telle distinction ? Où a-t-elle vu, ainsi que les autres indignés, que le tribunal ait avalisé de quelque manière la possibilité exclusive de l'homme de présenter une telle demande d'annulation et de la refuser à la femme, même s'il est assez évident que, dans le milieu concerné, l'exigence de virginité pour la femme n'existe pas pour le mari ? Il n'a rien jugé de tel, n'étant pas appelé à trancher un débat de société ou à porter une appréciation sur les coutumes d'un milieu musulman, mais dame ROYAL le fait pour lui, c’est plus “terrifiant” comme ça !

« Choqué en tant que citoyen » (sic) par cette décision, le ministre de l’Immigration, M. Brice HORTEFEUX s’est enflammé, estimant que la Cour de cassation devait impérativement être saisie ! « Je comprends qu’on puisse être choqué à notre époque que pour trouver un mari il faut faire la preuve de sa virginité ». Toujours beaucoup d’intelligence, y compris dans la grammaire ; et que ce « à notre époque » est décisif !

Même des catholiques bien-pensants font procès au tribunal d’avoir
« jugé selon la charia »  !

La secrétaire d'Etat au droit des femmes, Mme Valérie LETARD, dont nous découvrons l’indispensable existence, s'est dite « consternée de voir qu'aujourd'hui en France [rebelotte] certaines dispositions du code civil conduisent, par l'interprétation qui peut en être faite, à une régression du statut de la femme », une décision « d'autant plus choquante que le gouvernement multiplie les mesures en faveur de l'égalité entre les hommes et les femmes ».
 
M. Jacques MYARD, député UMP, généralement bien mieux inspiré, s’est indigné de cette décision « choquante (qui) avalise un intégrisme archaïque ». On pourrait continuer longuement cette liste de discours et de prises de position en tous genres, pour ce qui est devenu, en une traînée de poudre, une Affaire nationale. Il ne faut pas oublier Mme DATI, ministre de la Justice qui, elle, face à cette vague d’hystérie collective, a courageusement tenu bon en défendant la décision rendue... avant de changer d'avis et de demander au procureur général de Douai d'interjeter appel du jugement.



4.- Osons quelques remarques dissidentes. Contrairement aux habitudes convenues, les commentaires insistent ici lourdement pour faire observer que les personnes concernées sont des musulmans. Pire, il s’agit d’un homme musulman. Un homme, c’est forcément la quintessence d’un fanatique. En général, ce n’est pas très politiquement correct de relever tout ça. C’est même franchement mal vu, y compris lorsqu’il s’agit de critiquer le fait que certains musulmans cherchent à imposer leurs habitudes alimentaires dans des collectivités, des soupes populaires, ou d’autres pratiques qui sont les leurs dans des lieux publics, piscines, ou autres. Mais ici on y va franco, au point de dire ou de suggérer que les magistrats auraient appliqué la charia. Pourquoi, dans le fond ? Parce que c’est ici la sacro-sainte liberté des mœurs, souveraine conquête de la soixante-huitardise qui est mise en cause, et que devant cette Haute et Sainte Cause, la liberté religieuse, le respect des convictions, des “différences”, la Tolérance et tout le tintouin que l’on nous sert à satiété pour notre ordinaire démocratique, franchement, on n’en a rien à battre ! C’est le « statut de la femme » qui est ici menacé, cette Image moderne de la Femme libérée que l’on voit partout étalée, tellement valorisée, tellement valorisante… C’est en réalité d’un conflit de valeurs dont il est débattu, pas d’une question de droit, et là l’idéologie doit avoir le dernier mot.

Le raccourci est ainsi fait : chasteté, islam, donc fanatisme ! L’islam tombe ici fort bien, parce qu’il permet de faire le lien entre l’estime de la chasteté et le fanatisme. Ah si ce Monsieur X. qui a agi en justice, pouvait nous rendre l'insigne service d’avoir une grande barbe, un chapelet de 12,7 autour du cou, un couteau entre les dents, et plein de visas afghans sur son passeport !

La réalité est plus ordinaire : un homme, pour fonder un foyer, entendait épouser une femme qui fût vierge. Et alors ? Il était en cela inspiré par son éducation, sa morale, sa religion. Et alors ? Mme MORANOa eu l’intelligence de rappeler que « ce qui a été jugé par le TGI de Lille ne porte pas sur la virginité ou non mais sur le vice du consentement du conjoint », qui « porte sur le mensonge, la dissimulation et donc sur la qualité essentielle de la personne ». Elle a surtout relevé « qu’il ne faut pas qu'il y ait un mélange avec les religions (…). Là on dit (que) c'est une famille musulmane, mais je connais aussi beaucoup de familles catholiques pratiquantes où cet élément reste quelque chose, pour l'un et pour l'autre d'ailleurs, l'homme et la femme, une qualité essentielle, un atout ». Rappelons en passant cette magnifique définition de la chasteté que donne le Compendium du Catéchisme de l’Eglise catholique : « La chasteté est l’intégration réussie de la sexualité dans la personne. La sexualité devient vraiment humaine quand elle est intégrée de manière juste dans la relation de personne à personne. La chasteté est une vertu morale, un don de Dieu, une grâce, un fruit de l’Esprit » (n° 488).

Oui, Messieurs et Mesdames les Censeurs de tous bords. Au risque de conter avec vous musique que vous ne pouvez entendre, la virginité peut à bon droit être considérée comme une qualité essentielle d’une union, une très belle et très noble qualité, même si cela vous échappe, et pour les deux conjoints comme il est ici justement relevé. C'est uniquement là-dessus qu'a porté le débat soumis au juge. A lui d’apprécier si, dans une circonstance déterminée, la virginité a été pour l’un d’eux un élément déterminant de son engagement, et s’il y a eu mensonge sur ce point, parce que la société lui confie le soin, lorsqu’il en est sollicité, de vérifier la liberté des consentements. Qui sont donc Mme BADINTER, Mme ROYAL, MM. DEVEDJIAN et HORTEFEUX et tant d’autres pour s’ériger en juges de ce qu’une personne croit essentiel dans le choix de l’épouse ou de l’époux qui doit accompagner sa vie ? Qui leur a donné mandat de censure sur les magistrats qui ont décidé, en l’espèce, par application souveraine du droit français, que le consentement de M. X avait été vicié sur un élément déterminant de son engagement ?

Le tribunal de grande instance de Lille était parfaitement en son rôle en se prononçant comme il l’a fait, selon le droit. Il aurait pu également en décider ainsi pour un couple catholique, ou pour un couple juif. On nous objectera que Mme X a menti à son mari de crainte que le mariage n’ait pas lieu, sous la pression morale qu’elle aurait subie. Mais cette objection est inopérante, car elle ne sort pas de la problématique du consentement, et ne fait que mettre en lumière cette possible réalité : que son propre consentement ait été lui-même vicié. C’est pourquoi, en toute hypothèse, Mme DATI a pu dire que le jugement rendu « était aussi un moyen de protéger (cette) personne », laquelle, rappelons-le, n'a pas fait appel de la décision rendue.
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H
Pas facile d'être magistrat aujourd'hui ! Je ne pense pas que ceux de Lille, qui avaient juste l'intention de bien faire leur boulot en jugeant de cette affaire parmi d'autres aient soupçonné la tempête qui allait venir!!!! Au fait, c'est quoi la séparation des pouvoirs ?! ça existe toujours ce truc ? Et les juges, ils ne jugent pas "au nom du peuple français" ? Les gueulantes des assoc., des intellos de service et des hommes politiques c'est une instance d'appel ? Et l'autorité de la chose jugée, ça marche toujours aussi ? Quel pays !
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J
Bien vu cet article ! Mais je vous signale que Mme Dati vient de céder à la pression et de demander au Parquet de faire appel du jugement... Dommage.
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L
<br /> <br /> Oui, en effet, merci de nous le faire remarquer. Nous en avons apporté la précision. C'est bien dommage.<br /> <br /> Plus rien n'a de sens en cette histoire : les juges ont jugé souverainement selon le droit en cette affaire, et c'est ce que leur ministre a d'abord déclaré. Mais les choeurs de l'Idéologie ont<br /> grondé, fort, très fort. Alors, du coup, le ministre s'est incliné. Il demande au Parquet de faire appel.<br /> <br /> L'appel, c'est en principe une voie de droit. Mais ici, ce n'est pas le droit qui compte, c'est un jugement que l'Idéologie veut imposer. Nous sommes dans le meta-droit, celui qui est en marge<br /> des lois et qui se réserve de le court-circuiter, de l'émonder, de le contredire, chaque fois qu'il sera jugé nécessaire.<br /> <br /> On suit une voie de droit pour sommer le juge d'appel de se soumettre à l'Idéologie. Que fera la cour d'appel ? Sauf à vouloir prendre le risque de se faire lyncher à son tour, elle s'inclinera.<br /> Elle n'a idéologiquement aucun autre choix. A moins que s'en tenant imperturbablement - on appelait cela, jadis, la sérénité de la justice - à son office, qui est de dire le droit, elle fasse<br /> montre d'un courage que l'on craint désormais de ne plus pouvoir espérer. Après tout, cela ne coûte rien de croiser les doigts...<br /> <br /> <br /> L'équipe d'Hermas.info<br /> <br /> <br /> <br /> <br />