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A propos de l'enfer : le "Dieu immonde" du P. Fossion, s.j. (2)


Dans notre précédent article nous avons évoqué l'éclipse dramatique de la prédication de l'enfer, et rappelé le sens que donnait l'Eglise à ce dernier - sur le fondement des Ecritures et de la Tradition : une peine constituée principalement par la privation de Dieu, une peine imputable au pécheur lui-même, et une peine qui ne connaîtra pas de fin.


C’est la question de cette éternité qui fait ici difficulté. En tout cas pour le P. FOSSION (1).


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L'enfer éternel d'un "Dieu immonde"

Après avoir rappelé, comme il a été dit plus haut, que l’amour de Dieu, qui nous prévient, est inextinguible, il ajoute dans le texte évoqué : « L’œuvre de Dieu n’est donc pas de nous menacer de l’enfer ou de nous y mettre, mais de nous en faire sortir ». S’il n’entendait par là que Dieu, qui ne veut pas la mort du pêcheur mais qu’il vive, n’a de cesse qu’il l’ôte des voies de la mort par les sollicitations de sa grâce, alors la proposition ne pourrait que recueillir l’assentiment. Mais que veut dire « faire sortir de l’enfer » ? On n’en peut sortir qu’à condition d’y être entré. Bien sûr, on peut penser qu’il s’agit là de cet enfer métaphorique auquel est parfois réduite la vie des hommes ici-bas, dans la littérature ou les discours, mais ce n’est pas de cela dont parle le P. FOSSION. Nous ne lui ferons du moins pas l’injure de le croire. Il entend bien parler d’une sorte “d’au-delà” de l’enfer, de cet enfer qui nous occupe. Il écrit en effet ceci :


« On a usé et abusé, dans l’histoire de l’Eglise, d’un Dieu qui châtie des peines de l’enfer. On a ainsi enfermé les chrétiens dans la peur et on a fait de Dieu, soi-disant amour, un être capable, par une sorte de retournement pervers, d’infliger éternellement les pires souffrances. Ce Dieu immonde, grâce à Dieu, est devenu incroyable. Le Dieu de l’Evangile, par essence, ne veut personne en enfer. Son œuvre sera achevée, nous l’espérons, quand l’enfer, par sa grâce et par un libre assentiment des hommes, sera vidé de tous ses habitants ».

On retrouve ici le tic de tant d’esprits forts de ce siècle, la manie de dialectiser toujours entre un “Avant” réputé obscurantiste, primitif et bête, et un “Après”, c'est-à-dire un “aujourd’hui” – le leur, évidemment – irréfragablement présumé lumineux et enfin gagné par la grâce d’une infaillible vérité. Dans “l’Avant” régnait, par l’idéologie des clercs, un Moloch effrayant imposé à la foi de crédules terrorisés. Le bon Père n’y va pas de main morte : ce Dieu “d'Avant” est un « Dieu immonde », auquel on ne peut plus croire. Un peu comme on ne peut plus croire que la terre est plate.

Par opposition, le P. FOSSION oppose sa propre foi, celle de son Dieu devenu enfin crédible, dont il s’autorise à fixer la fin de l’œuvre, au-delà, et contre ce que la Révélation nous fait connaître. Elle sera achevée, ne craint-il pas de dire, quand Dieu aura vidé l’enfer de tous ses habitants. Et l’audace ne s’arrête pas là. L’auteur ose rattacher cette lubie à l’espérance, qui n’existe pourtant pas pour les damnés, et il fait dépendre le succès de l’œuvre de son Dieu “crédible” du « libre assentiment des hommes ».

De quels hommes, en vérité ? - De nous ? Mais en quoi notre assentiment personnel jouerait-il sur le sort des damnés ? - Des damnés eux-mêmes ? Mais comment pourraient-ils assentir à quelque rédemption que ce soit, pour en conditionner la réalisation de surcroît, alors que leur volonté est irrémédiablement attachée au mal, comme à la fin à laquelle ils se sont donnés – ce en quoi consiste, précisément, leur damnation ? « De même que la volonté des bons ne pourra devenir mauvaise, observait saint Thomas, de même celle des méchants ne pourra devenir bonne (2) ». Comment pourraient-ils d'ailleurs librement assentir, alors que la liberté ne se meut que dans le bien et que celui-ci leur est devenu définitivement étranger ? Comment, pour tout dire, le P. FOSSION peut-il soutenir que le « Dieu de l’Evangile » qu’il s’autorise à invoquer, l’intelligence légère, ne verra son œuvre achevée que lorsqu’il mettra un terme à une éternité de peine que l'Eglise tient, elle, pour certaine en vertu de la Révélation ? « L’Eglise, dans la fidélité au Nouveau Testament et à la Tradition (…) croit qu’une peine attend pour toujours le pécheur qui sera privé de la vue de Dieu (…)  » (3).

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Du rejet de l'éternité de la peine au rejet du vrai Dieu ?

Nous sommes ici en pleine déraison. Une déraison qui voisine avec le blasphème, car ce « Dieu » “d'Avant” que caricature le P. FOSSION, et qu'il ose qualifier « d'immonde », n’est-il pas objectivement celui en qui des générations de justes et de saints, et à raison, n'ont jamais cessé de croire ? Un Dieu qui a toujours été reçu comme Amour et en qui justice et miséricorde, comme il a toujours été compris, n'entrent pas en contradiction. Ce Dieu qui a parlé par les prophètes, et qui nous a avertis par la bouche de son propre Fils, en ces termes :


« Alors [au jugement dernier], le Roi dira à ceux qui seront à sa droite : ‘Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le royaume préparé pour vous depuis la création du monde. (…) Alors il dira à ceux qui seront à sa gauche : ‘Allez-vous-en loin de moi, maudits, dans le feu éternel préparé pour le démon et ses anges. (…) Et ils s’en iront, ceux-ci au châtiment éternel, et les justes, à la vie éternelle. » (cf. Mathieu, 25,31-46). Commentant ce texte de la Parole de Vérité, saint Jean Chrysostome interrogeait ainsi ses auditeurs : « Croyez-vous que ce lieu où je vous parle soit un théâtre, et que l’Eglise soit un lieu de fables et de fictions ? Pourquoi résistez-vous avec tant d’opiniâtreté aux avis que je vous donne et aux vérités que je vous prêche ? Ce n’est pas sans raison que Jésus-Christ a fait écrire toutes les parties de son Evangile, et particulièrement tout ce qu’il a fait et tout ce qu’il a dit aux approches de sa croix » (homélie 79).

Certes, il est vrai que l'on a parfois abusé de la prédication de l'enfer ou, plus exactement, qu’elle a été parfois gauchie par une approche qui masquait la puissance infinie de l'Amour rédempteur et la tendresse inlassable de sa miséricorde. Mais c'est une erreur redoutable de croire que pour corriger ce travers il faille amputer la Révélation des enseignements qu’elle apporte. C'est une erreur plus insupportable encore, et une impiété manifeste, de décider que leur auteur ne peut être qu'un Dieu « immonde ». On comprend bien que le P. FOSSION ne veut pas aller jusque-là et qu’il n’entend fustiger que ce qu’il présente comme une fausse représentation de Dieu. Il est évident qu’un dieu qui prendrait un plaisir éternel à torturer sans fin les damnés ne serait pas le vrai Dieu. Mais où le P. FOSSION a-t-il vu qu’une telle “théologie” ait jamais été présentée à la foi des fidèles ? Ce « Dieu immonde », « incroyable » qu’il évoque, étranger au « Dieu de l’Evangile », c’est en réalité le Démon, cet « esprit immonde » (texte de la Vulgate : « inmundus spiritus ») que dénonce le Christ lui-même dans l’Evangile (Luc, 11,24). Il faut une singulière audace au bon Père, afin de justifier sa thèse hétérodoxe selon laquelle la peine des damnés ne serait pas éternelle, pour affirmer que ce dieu-là aurait été objet de prédication et de croyance et que sa théologie en serait en quelque sorte une émancipation.

La relation établie par le P. FOSSION entre ce qu’il appelle le « Dieu immonde » et l’éternité des peines de l’enfer est d’autant plus inacceptable qu’elle conduit à méconnaître un élément essentiel de notre foi, à savoir celui du jugement. Les termes du Catéchisme de l’Eglise catholique ne laissent pourtant place à aucune ambiguïté : « La mort met fin à la vie de l’homme comme temps ouvert à l’accueil ou au rejet de la grâce divine manifestée dans le Christ (cf. 2 Tm 1, 9-10). Le Nouveau Testament parle du jugement principalement dans la perspective de la rencontre finale avec le Christ dans son second avènement, mais il affirme aussi à plusieurs reprises la rétribution immédiate après la mort de chacun en fonction de ses œuvres et de sa foi » (n° 1021). Et il ajoute : « Chaque homme reçoit dans son âme immortelle sa rétribution éternelle dès sa mort en un jugement particulier qui réfère sa vie au Christ, soit à travers une purification (cf. Cc. Lyon : DS 857-858 ; Cc. Florence : DS 1304-1306 ; Cc. Trente : DS 1820), soit pour entrer immédiatement dans la béatitude du ciel (cf. Benoît XII : DS 1000-1001 ; Jean XXII : DS 990), soit pour se damner immédiatement pour toujours (cf. Benoît XII : DS 1002) » (n° 1022).

Il existe donc bien un jugement de Dieu, comme l’exprime explicitement l’Evangile, par lequel Dieu prononce une sentence, et qui sera suivi d’un “jugement général” à la suite de la résurrection des vivants et des morts. « Alors le Christ “viendra dans sa gloire, escorté de tous les anges (...). Devant lui seront rassemblés toutes les nations, et il séparera les gens les uns des autres, tout comme le berger sépare les brebis des boucs. Il placera les brebis à sa droite, et les boucs à sa gauche (...). Et ils s’en iront, ceux-ci à une peine éternelle, et les justes à la vie éternelle” (Mt 25, 31. 32. 46) » (4). Si c’est cela qui rend « immonde » au P. FOSSION les représentations qu’il fustige, alors il est définitivement à craindre que sa censure, quoi qu’il en ait, n’atteigne le vrai Dieu.

(à suivre)

Pierre GABARRA


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(1) Rappelons que l'on peut télécharger intégralement le texte de la conférence du P. Fossion, au format PDF,  au bas de l'article précédent.
(2) Somme contre les gentils, L. 4, chap. 93
(3) Lettre Recentiores episcoporum synodi, 17 mai 1979 - Ici
(4) Catéchisme de l’Eglise catholique, n° 1038
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L
félicitations.
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L
ce serait incroyable si on le lisait pas de ses propres yeux sur le document que vous mettez en pièce jointe. et dire qu'il a fallu tant d'années de théologie, je suppose, pour en arriver a avoir sur tout ça des idées plus vagues que ma fille de 9 ans..... c'est dingue !
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