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A propos de l'enfer : le "Dieu immonde" du P. Fossion, s.j. [fin]


Dans le précédent article, nous avons examiné la thèse du P. Fossion relative à ce qu'il appelle le "Dieu immonde", dont l'image serait indissociablement liée, selon lui, à la représentation d'un châtiment éternel. Pour lui, à ce qu'il semble, cette éternité de peine - que l'Eglise, pourtant confesse - serait incompatible avec l'Amour divin, qui n'aurait dès lors de cesse que de la faire disparaître en vidant l'Enfer,
in fine, de ses habitants. En cela, toujours selon lui, consisterait la fin de son Oeuvre, à laquelle notre espérance serait attachée. Cette thèse, qui prétend résoudre dialectiquement la difficile question de la conjonction de la miséricorde et de la justice, en vient, pour sauver la première, en caricaturant la foi établie de l'Eglise, à exclure la seconde (1).


Une justice et un jugement dénaturés

Le Père FOSSION, pourtant, évoque la justice divine. Mais c’est pour aussitôt la vider de sa substance, et la réduire ainsi dénaturée au temps de cette vie, au temps de la conversion encore possible, se dérobant de la sorte à la question qu’il prétend clarifier.


« Bien sûr, dit-il, la justice de Dieu existe. Mais, c’est une justice qui n’est jamais vengeresse ou vindicative. La justice vengeresse rend le mal pour le mal. La justice de Dieu n’est pas de cette nature. Elle ne peut faire le mal. C’est une justice réparatrice qui appelle, dans la vérité, à restaurer la vie là où elle a été blessée. La justice de Dieu, en effet, fait la vérité. Elle invite à voir les choses en face et à réparer autant que possible le mal que l’on a pu commettre. Mais cette justice de Dieu est aussi et de surcroît miséricordieuse. C’est dire que l’amour, en toute hypothèse, demeure offert de manière inconditionnelle, par-delà tout effort de réparation. »

La justice de Dieu, oui, « fait la vérité ». Mais la vérité de la justice est, précisément, de rendre à chacun ce qui lui est dû – dû qu’elle met en pleine lumière. C'est cela, le jugement, conformément aux énoncés de l'Evangile. Il n’y a là nulle vengeance, nulle vindicte, de la part d’un Dieu dont le Fils s’est incarné jusqu’à la consomption totale, par amour, de son humanité. La restauration évoquée consistera précisément, selon notre foi, à donner à chacun sa place, dès la fin de sa vie terrestre, à ouvrir la Béatitude éternelle aux justes, et à « faire cette vérité » que ceux qui auront rejeté l’amour de Dieu iront éternellement dans cet enfer en lequel, pour reprendre l’expression du P. FOSSION, ils se seront eux-mêmes enfermés.

Le P. FOSSION parle aussi du “jugement”, mais pour le dénaturer également, en l’arrachant de son “temps post-historique” pour le transposer dans « le temps favorable, le temps du salut”» (2 Corinthiens, 6,2) qui n’est pas le sien, le temps de cette vie d’ici-bas, où réparation, mérites et démérites sont encore possibles :


« La portée éducative de ces perspectives est évidente. Si vous êtes parents et que votre enfant fait une bêtise, vous lui direz, par souci de vérité et de justice, qu’il lui faut réparer autant que possible, mais, en même temps, vous ne lierez pas votre amour à la réparation souhaitée. A un moment donné, vous lèverez le devoir d’une stricte réparation, en manifestant à votre enfant qu’il est aimé en toute hypothèse et gratuitement. Tel est aussi, en quelque sorte, le “jugement  dernier” de Dieu. Contrairement à l’image de la balance qui est profondément païenne, “le jugement dernier” n’a rien de quoi nous faire peur. Il est Bonne Nouvelle d’un amour donné inconditionnellement. Et s’il y a néanmoins un effort à fournir de notre côté, c’est celui, tout simplement, de nous ajuster à cette grâce offerte. »

Ces propos n’ont tout simplement pas de sens, parce qu’ils donnent à l’expression “jugement dernier” – dont on appréciera le “en quelque sorte” assortissant la définition supposée – un contenu qui n’est aucunement le sien, en tout cas en théologie catholique. L’auteur pourrait tout aussi bien dire : « L’enfer n’a pas de quoi nous faire peur parce qu’il est bonne Nouvelle ». Le jugement dernier, n’en déplaise au P. FOSSION, ne sera une bonne nouvelle que pour ceux que la mort rencontrera en état de grâce, en amis de Dieu, parce qu’il éclairera la vie surnaturelle en laquelle ils vivent, laquelle s’épanouira en béatitude éternelle, dans la vision face à face de l’Amour infini. Pour les autres, il ne sera que confusion et douleur. C'est le message même du Christ - auquel on nous pardonnera d'accorder plus de crédit qu'à celui du Père FOSSION.

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Du "Dieu désirable" au Dieu "selon nos désirs"

Le Père FOSSION a proposé à ses auditeurs une réflexion sur « un Dieu désirable ». Il est à craindre qu’il ne s’agisse en réalité – au moins pour ce qui concerne la question de l’enfer et du jugement – d’un Dieu qui serait plutôt selon ses désirs, d’un Dieu acceptable, au regard duquel enfer et jugement, particulier et final, n’ont pas le sens que leur donne précisément la Révélation, telle qu’elle est proposée à notre foi par l’Eglise.

Sa thèse, toujours sur la question de l’enfer, n'est en réalité qu'une resucée nouvelle de celle d'Origène († 253), et de l'apocatastase, qui a été si en vogue chez nombre de clercs irresponsables depuis quarante ou cinquante ans. Rassurez-vous bonnes gens : vous pouvez sans crainte croire à l'enfer, ça ne coûte rien, parce qu'il est vide ou appelé à le devenir au temps de la « restauration universelle » (« apokatastasis pantôn ») dont parlent les Actes des Apôtres (3,21) ! Les origénistes du jour, si attachés à l'évolution quand ils parlent de la création – comme le P. FOSSION au début de sa conférence – gagneraient à considérer qu'une évolution homogène préside au développement de la théologie et que si Origène, saint Ambroise († 397) ou saint Jérôme († 420), dans leurs recherches, ont pu légitimement s'interroger sur ces choses, la foi de l'Eglise est aujourd'hui, et depuis longtemps, fermement établie.

Au reste, il n’est sans doute pas inutile de rappeler que l’Eglise a déjà condamné, chez les Jansénistes, la proposition selon laquelle la doctrine de certains Pères pourrait être soutenue contre elle (2). En effet, comme le soulignait à raison saint Thomas, « la doctrine des Docteurs catholiques tire son autorité de l’Eglise. Il faut donc s’en tenir davantage à l’autorité de l’Eglise qu’à celle d’Augustin, de Jérôme ou de quelque Docteur que ce soit (3) ». Or, au sixième siècle, le Concile de Constantinople a condamné sans réserve la thèse d'Origène en ces termes : « Si quelqu'un dit ou pense que le châtiment des démons et des impies est temporaire, et qu'il prendra fin après un certain temps, ou bien qu'il y aura restauration des démons et des impies, qu'il soit anathème (4) ».

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Pour conclure

Un religieux nous écrivait récemment, en réponse à notre article sur les thèses du P. FOUREZ : « Comment peut-on en arriver là ? » La même question s'impose ici, tout aussi mystérieuse, tout aussi douloureuse, tout aussi tragique. Comment un prêtre peut-il donner pour espérance chrétienne ce qui est si manifestement contraire à la foi ? Quels sont les ressorts de ce refus de croire, bien plus, il faut bien le dire, de cette apparente volonté de dénaturer ? Se rassurer, rassurer les autres ? Exorciser ses peurs que l’on prétend ouvertement n’attribuer qu’aux obscurités du passé ? N’est-ce pas là le signe, extrêmement paradoxal, que, dans le fond, on ne croit pas à la miséricorde que l’on prêche, ou que l’on ne parvient à la sauver – à ses propres yeux – que par la mutilation de Dieu ?

Le Christ nous a parlé des peines éternelles et du jugement, en des termes redoutables. Il ne l’a pas fait pour imposer un empire de la peur. L’Eglise, qui nous transmet ce message, ne le fait pas pour nous effrayer. L’un et l’autre nous placent devant notre vérité, notre responsabilité d’hommes et de femmes, pour nous éclairer sur le sérieux de nos choix et de nos vies. Ils nous inspirent, par amour, par respect pour notre vocation surnaturelle, une « sainte crainte de Dieu » afin de nous porter à la conversion (5). Le P. FOSSION fait un parallèle avec l’éducation des enfants. Mais quand a-t-on vu que des parents aimants et justes se dispensaient de mettre en garde leurs enfants contre les maux susceptibles de leur nuire ? A quoi bon une miséricorde, d’ailleurs, si le péché ne devait nous menacer de rien ? Car c’est de lui que vient le péril de châtiment, et celui de la mort. On raconte du saint Padre PIO (1887-1968), qui est l’un de nos contemporains, qu’il pleurait lorsque, prenant entre ses mains les Visites à la Très Sainte Vierge Marie de saint ALPHONSE DE LIGUORI, il y lisait : « Je vous remercie de tout ce que vous avez fait, en particulier de m'avoir préservé de l'enfer, que j'ai mérité tant de fois ». Telle est l’intelligence de la foi. C’est écarter les âmes de la tendresse miséricordieuse de Dieu que d’édulcorer le message que son Fils est venu écrire de son Sang.

Nous tenons quant à nous, avec l'Eglise, que « nous sommes dans l'attente que nous obtiendrons (du Christ), soit la vie éternelle en récompense de notre bon mérite, soit la peine du supplice éternel pour nos péchés » (6). Et ce texte vénérable, s’adressant à chaque baptisé, ajoute au rappel de l’ensemble du Credo catholique : « Lis cela, tiens-le fermement, soumets ton âme à cette foi. Ainsi tu obtiendras du Christ Seigneur la vie et la récompense ». Que la grâce de Dieu nous accorde de demeurer en cette soumission à la Vérité qu’il nous a donnée, dans sa charité, et en laquelle est la joie de notre foi en Dieu désiré – tel qu’il Est. Et que saint Michel nous garde d’entrer jamais dans des voies contraires, fussent-elles parsemées de fleurs et largement ouvertes par des discours séducteurs.


Pierre GABARRA

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(1) Rappelons que le texte intégral du P. Fossion peut être télécharger en format PDF au bas du premier article paru sur ce sujet
(2) Décret du Saint-Office, 7 décembre 1690, prop. 30, Denz. n. 2330
(3) Somme de Théologie, IIa IIae q. 10, art. 12
(4) Denz. n° 409
(5) Catéchisme de l’Eglise catholique, n° 1041
(6) "Foi de Damase", Vème s., Denz. n. 72
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