12 Avril 2007
Nous avons souvent eu à souligner ici, comme d’autres ailleurs, combien les mots constituaient un enjeu de taille dans les débats contemporains. Non pas les mots en tant que tels, bien sûr. Mais en tant qu’ils sont porteurs d’une signification précise et somme toute assez universelle, non arbitraire, qui sert de lien entre la réalité, la pensée et l’action.
Très tôt, les révolutionnaires ont compris, en particulier lors de la révolution française, la puissance des mots. Ils se sont alors efforcés d’en faire l’instrument de leurs objectifs politiques. Conservant la coque phonétique et orthographique des termes, ils l’ont remplie d’autres sens que leurs sens premiers, pour servir leur idéologie. Le mot réformé n’avait dès lors plus vocation à dire la réalité, pour s’y conformer, mais à la recréer et à créer des communions nouvelles dans le cadre d’un monde nouveau. Le “citoyen” est ainsi devenu autre chose que le “citoyen” du sens commun, comme aussi la “liberté”, le “peuple” ou la “fraternité”. Plus tard, c’est le “prolétaire” qui est devenu autre chose que le prolétaire du sens commun, comme aussi la “classe”, la “tolérance” ou la “démocratie”. Cette emprise sur le vocabulaire s’est toujours traduite par un appauvrissement de celui-ci, pour créer une “langue de bois”, ce qu’a cruellement traduit “
Il est évident aujourd’hui que cette révolution-là triomphe partout, jusque dans nos démocraties dites “libérales”. Il y a belle lurette déjà que la “pensée unique”, qui faisait tant rire de ce côté-ci de l’Atlantique, il y a quelques années, quand on en découvrait les grotesques manifestations de l’autre côté, s’est ici aussi imposée, avec ses ellipses prétentieuses, ses redondances faussement savantes, ses « quelque part », ses « vécus au quotidien », ses termes empruntés, convenus, vides, consensuels. Une certaine fraction du clergé “éclairé” s’était bien avant donné pour tâche, il faut bien le dire, de créer son vocabulaire nouveau, pour créer sa révolution ecclésiale. Le Père Maurice Lelong, o.p. en avait fait une croustillante caricature, au début des années 70, dans son petit ouvrage intitulé Lexicon de l’Eglise nouvelle. Un ouvrage qui devrait d’autant plus être dans toute bibliothèque que, plus de trente ans plus tard, les mêmes jargons continuent d’avoir cours.
A côté des mots idéologiquement convenus, il y a aussi les mots piégés, et les mots-massue comme “raciste”, “antisémite”, qui peuvent avoir à peu près le même rapport à la réalité, la même portée englobante et infâmante que le “suppôt de l’impérialisme” que les idéologues soviétiques appliquaient à leurs ennemis. Et puis il y a les mots interdits. Très étonnamment, l’un de ces mots les plus difficiles à manier aujourd’hui est le mot “normal”. Mgr Léonard, évêque de Namur, l’a récemment appris à ses dépens.
On connaît l’histoire. Mgr Léonard a été interviewé par un journal intitulé Télé Moustique, au sujet de l’homosexualité. Il aurait à cette occasion déclaré que l’homosexualité « est un stade imparfaitement développé de la sexualité humaine qui contredit sa logique intérieure » et que « les homosexuels ont rencontré un blocage dans leur développement psychologique normal, ce qui les rend anormaux ». Il aurait ajouté que « la promotion de l'homosexualité au travers des gay prides signe le retour à l'antiquité gréco-romaine. Glorifier l'homosexualité, c'est une récession de vingt siècles ». La polémique est née [car d’évidence on ne peut pas s’exprimer sur ce sujet sans que ce soit matière à polémique – c'est-à-dire à guerre] de l’usage du mot “anormal”. Mgr Léonard ayant nié avoir utilisé ce terme, la bande-son de l’enregistrement a été écoutée et c’est le mot “anormalité” qui est apparu, ce qui clarifie au moins que le prélat a visé un comportement et non des personnes.
Quoi qu’il en soit de cette nuance, ce qui est révélateur, au fond, c’est qu’il n’est pas possible, qu’il n’est plus idéologiquement possible, aux yeux de “l’opinion” dominante [ou dominée, ce qui est égal], d’exprimer une opinion divergente sur l’homosexualité.
Les adversaires de Mgr Léonard, qui sont évidemment du lobby homosexuel, lui ont opposé notamment que l’homosexualité n’était plus considérée comme une maladie mentale depuis au moins 1992, date à laquelle tous les Etats membres de l’OMS ont cessé de la considérer comme telle. Cet argument est très éclairant. Mgr Léonard a-t-il dit que c’en était une ? Non. Il a parlé de comportement “anormal”. Faut-il dès lors, pour qu’un comportement soit “anormal” qu’il constitue une maladie mentale ? C’est ce que l’argument utilisé par le lobby insinue. On voit bien où il veut en venir.
En réalité, que signifie “normal” et “anormal” ? Cela signifie la rectitude d’un comportement [en l’occurrence] par rapport à une norme. Cette norme, ici, quelle est-elle ? Le manuel diagnostique et statistique des maladies mentales de l’OMS ? Evidemment non. Il s’agit de la nature humaine, laquelle est la norme prochaine de l’agir humain. Est dès lors normal ce qui lui est conforme, anormal ce qui ne l’est pas. Le message de l’Eglise, qui n’a jamais manqué de rappeler le respect qu’elle éprouvait pour les personnes concernées, comme pour toute personne, est parfaitement clair à ce sujet : les actes d’homosexualité ne sont pas conformes à la nature humaine, et c’est pourquoi elle les considère comme des désordres graves. Voilà ce qu’entendait dire Mgr Léonard, et voilà ce qu’il a dit. Le mensonge, la paresse, le vol, l’homicide ne sont pas non plus des maladies mentales ; ils n’en sont pas moins des actes anormaux au regard de la raison droite, qu'on le veuille ou non.
En esquivant totalement cette norme humaine, qui est le critère nécessaire de toute humanisation, le lobby homosexuel ne veut pas seulement clouer au pilori le prélat qui ose exprimer, contre l’air du temps, l’enseignement de l’Eglise. Il cherche à établir, voire à imposer sa légitimité. Il veut faire entrer cette dialectique dans les esprits : L’homosexualité, parce qu’elle n’est pas une maladie mentale, n’est pas anormale. Donc elle est normale, sans que l’on sache au regard de quelle norme une telle affirmation peut être posée. Il est tout aussi normal d’être homosexuel que d’être hétérosexuel et le rapprochement avec la maladie mentale n’a d’autre objet que de suggérer la parenté qu'entretiendraient implicitement les opposants à cette normalisation avec des systèmes d’intolérance absolus.