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Face à l'imminence d'une nouvelle guerre en RDC : l'appel de l'Archevêque de Bukavu, Mgr Maroy

    En poursuivant notre tour du monde des diocèses, nous ne pouvons manquer de nous intéresser au continent africain, auquel notre Eglise doit tant et chaque jour un peu plus, et où vivent de très nombreux et fervents fidèles. Si l'Afrique n'est pas faite - loin s'en faut - que de drames, de guerres ou de famines, il est vrai que certaines régions souffrent terriblement et durablement et les chrétiens avec elles. Si les moyens techniques des diocèses africains sont plus limités que ceux des pays occidentaux et donc leur visibilité internationale peut-être moindre, il n'en reste pas qu'ils vivent et agissent, avec des préoccupations qui pour être différentes des nôtres ne peuvent nous laisser indifférents et doivent susciter notre solidarité active.


    Cette lettre, qui n'est que l'une des manifestation de l'action constante pour ramener puis maintenir la paix, en est une illustration. Monseigneur Maroy est Archevêque de Bukavu, dans l'est de cet immense pays qu'est la République Démocratique du Congo, à la frontière avec le Rwanda. Son diocèse est donc situé dans l'une des régions qui ont été les plus exposées aux combats, drames, invasions, groupes rebels et autres fléaux, qui ont ensanglanté la RDC depuis 10 ans et dont les populations ont tant souffert et souffrent encore tant. Son combat doit être le nôtre.

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"Message remis à Son Excellence Bernard Prévost, ambassadeur de France à Kinshasa, de passage à Bukavu Excellence,


Au nom de toute la population de notre province, nous vous disons très profondément merci pour votre visite en ce moment particulier de l’histoire de notre province. Aujourd’hui, nos villages et nos villes sont dominés par une psychose de la guerre. Au constat de notre peuple, les éléments sont apparemment réunis pour une nouvelle guerre au Sud-Kivu :

Il y a un mouvement d’infiltration massive et systématique en provenance du Rwanda par les points frontaliers de la Rivière Ruzizi, d’Uvira, de Nyangezi, de Kaza-Roho à Cabi Bukavu. Pour preuve, le gouverneur de la province a montré à la presse, le samedi 26 mai 2007, un sujet burundais fortement engagé dans le recrutement et la finalisation d’une nouvelle guerre.

Le placement militaire reproduit le même schéma que celui qui a prévalu juste avant le déclenchement de la guerre par le RCD en 1998. En effet, la onzième brigade dans la contrée de Walungu où sévissent les massacres de Kaniola, la quatorzième brigade un peu plus au Nord et la troisième brigade dans la ville de Bukavu sont toutes commandées par les officiers issus de l’ex-mouvement politico-militaire du RCD/Goma. Même le commandant second de la dixième Région militaire, qui est chargé des opérations, est un ancien du RCD/Goma. Par hasard ou réelle stratégie militaire.

De nouveau la campagne médiatique de la prétendue haine ethnique resurgit dans les médias. Le macabre massacre de Kaniola à Walungu dans la nuit du 26 au 27 mai 2007, rappelle bien celui de Lemera dans le territoire d’Uvira avant les attaques décisives de la guerre de l’AFDL. La nature de la cruauté à l’arme blanche est contraire à notre culture et rappelle les massacres de Kasika et de Makobola.

Les rnassacres de Kaniola ont été exécutés en présence pratiquement du major de l’armée régulière proche du commandant de la onzième brigade militaire. Les cris de la population n’ont pas dérangé son sommeil alors que les massacres se produisaient non loin de l’endroit où il était basé.

Comme en 1996, notre armée régulière en pleine restructuration est incapable de défendre la population.

Comme en 1996 les Banyamulenge sont instrumentalisés pour provoquer la guerre, ils se retirent, surtout les femmes et les enfants, selon certains témoignages de nouveau vers les pays voisins et laissent seuls les hommes dans les hauts plateaux du Sud-Kivu. Excellence Monsieur l’Ambassadeur, des interrogations demeurent :

Que signifie le silence des institutions de la République, à savoir le chef d’Etat, le Parlement, le gouvernement central et le Haut Commandement militaire devant les massacres à répétition à Kaniola. Sous d’autres cieux pour une prise d’otage, même d’une seule personne l’appareil étatique de son pays se mobilise. Pour le gouvernement de la République démocratique du Congo, devant la menace d’une nouvelle guerre et pendant que sévissent des massacres de la population civile au lieu de s’attaquer au vrai problème qui est d’ordre sécuritaire et militaire, on nous propose la table ronde « inter-communautaire » Complicité ou ignorance ?

Le processus de brassage et « mixage » négocié dans les pays voisins : pourquoi et quel résultat a-t-il produit pour la sécurité de la population civile ? Existe-t-il des accords ou des contrats de nos gouvernants politico-militaires avec nos agresseurs ? Comme pour les guerres antérieures de 1996, 1998 et 2004, on a envoyé des militaires aux fronts sans logistique ni ravitaillement suffisants. Est-ce pour les affamer et les décourager ou tout simplement pour les livrer à l’ennemi ?

Les Interahamwe, les Rasta et les FDLR responsables de massacres parlent tous d’abord Kinyarwanda. Ils ont été drainés à l’Est de la RD Congo par la Communauté internationale après le génocide rwandais. A quand le retour de ces gens convertis en terroristes en territoire d’accueil ? Est-ce la manière de récompenser le peuple congolais de l’Est pour son hospitalité ?

Excellence, voici nos quelques recommandations Que notre chef d’Etat, massivement voté dans cette province, prenne ses responsabilités et envoie des troupes d’élite qui doivent contrer la guerre imminente au Nord et Sud-Kivu avant qu’il ne soit trop tard.

Que le gouvernement, toutes affaires cessantes considère le problème de la sécurité à l’Est comme une priorité et qu’il cesse de distraire l’opinion avec des plans de négociation, de dialogue, de table ronde qui n’aboutiront à rien. Nous en avons l’expérience. Que les élus du peuple se mobilisent davantage pour la vraie sécurisation de la population. Que la Communauté internationale, fortement représentée dans cette région, ne dise pas qu’elle ne savait pas. Nous la prendrons à témoin.

Que la Monuc, confortée par la dernière décision de l’Onu qui prolonge son mandat jusqu’en décembre 2007, ne se dérobe pas de sa tâche et surtout qu’elle ne pactise pas avec l’ennemi et s’engage pour la protection de la population civile, conformément à son nouveau mandat.

Que la population de l’Est de la RD Congo, qui n’a jamais trahi, ouvre l’œil et le bon comme par le passé. L’ennemi est encore là.

Nous sommes des voisins naturels avec les Rwandais, les Burundais et les Ougandais. Nous sommes condamnés à vivre ensemble plutôt dans la paix et la concorde dans cette sous-région que Dieu nous a généreusement donnée et non en guerre perpétuelle. A quoi nous serviraient de nouvelles guerres qui ne font qu’appauvrir nos peuples et à créer des inimitiés inutiles « Heureux les artisans de la paix, ils seront appelés fils de Dieu ». (Mt 5,9). « Plus jamais, jamais la guerre, le monde a soif de paix ». Excellence

Encore une fois merci, de tout cœur, pour votre visite et devenez la voix de ces Sans-voix qui meurent chaque jour dans nos villages. Nos condoléances les plus émues aux familles éprouvées et que nos frères et sœurs tués à Kaniola reposent en paix.

Fait à Bukavu, le 28 mai 2007

+ Mgr François-Xavier MAROY

Archevêque de Bukavu"
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