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M. Sarkozy, La mémoire de la Shoah et l'école

1.- L’actualité française bruisse décidément de problèmes sur lesquels M. Sarkozy joue sa réputation, sa crédibilité… et son électorat.

Les Français n’étaient pas plutôt sortis de l’affaire Bruni que les voilà entrés dans l’affaire du « mémorial » des enfants juifs déportés.

Sur la première, tout a été dit. Puisque les sondages constituent un passage obligé, et puisqu’il faut les en « croire », selon la formule consacrée, plus de 80 % des Français ont été choqués par le comportement immature du président de la République, qui poursuit continûment ses confusions entre le privé et le public, entre ses affaires personnelles et la charge qu’il exerce, entraînant souvent celle-ci au ridicule de celles-là. Si M. Debré n’avait eu si évidemment la voix d’un Jacques Chirac, devenu à l’occasion ventriloque vengeur pour fustiger ce comportement indécent du Président au nom de la dignité de la charge exercée, force aurait été de convenir du total bien-fondé de son propos.

Mais voilà que M. Sarkozy veut en faire toujours plus, et encore, jusqu’à se prendre les pieds dans le tapis s’il le faut, pourvu qu’il puisse garder ainsi l’étrange satisfaction d’avoir « fait bouger les choses ». C’est la mobilomania. Il faut que ça bouge, qu’il y ait du mouvement. Cela fait moderne, décidé, dynamique, nouveau, jeune !


2.- En attendant de nous faire un infarctus de la cocarde, M. Sarkozy, obligé de se déplacer auprès du CRIF – dont la représentativité nationale n’échappe à personne – a cru intéressant d’y faire cette annonce : « J'ai demandé au gouvernement, et plus particulièrement au ministre de l'Education nationale, Xavier Darcos, de faire en sorte que, chaque année, à partir de la rentrée scolaire 2008, tous les enfants de CM2 se voient confier la mémoire d'un des 11.000 enfants français victimes de la Shoah ». Et d’ajouter cette injonction : « Les enfants de CM2 devront connaître le nom et l'existence d'un enfant mort dans la Shoah. Rien n'est plus intime que le nom et le prénom d'une personne. Rien n'est plus émouvant, pour un enfant, que l'histoire d'un enfant de son âge, qui avait les mêmes jeux, les mêmes joies et les mêmes espérances que lui ».

Survinrent les réactions que l’on sait. Le CRIF s’est montré satisfait. Le grand rabbin de France, M. Sitruk, aussi. De nombreuses personnalités juives se sont néanmoins insurgées contre cette idée, parfois avec violence, notamment Mme Veil : « Inimaginable, insoutenable et injuste »… avant de changer d’avis, pour se décider à participer à la mission Darcos, sortie depuis lors de terre, chargée de réfléchir aux modalités de ce qu’on appelle désormais « l’intuition du Président ». D’autres, cependant, persévèrent dans leur désaccord, comme l'Union des déportés d'Auschwitz, dont l’avis pourrait paraître suffisamment crédible pour être davantage écouté.


3.- En dehors de la communauté juive, d’aucuns, qui n’osent pas dire que l’idée est tout simplement stupide, idéologique et inutile, se bornent, pour monter au créneau, à fustiger… la méthode. C’est là-dessus qu’est en train de se constituer le “consensus” : la méthode. Il en va ainsi de M. Hollande. Croyant d’abord aller dans le sens du vent, M. Hollande a approuvé l’idée de M. Sarkozy avant de piler des quatre fers, sentant qu’un vent glacé lui venait finalement dans les narines. Il a dès lors déploré… « l’improvisation » de cette grave et essentielle décision. « Il n'y a eu aucune préparation, aucune discussion, aucune délibération », a-t-il dénoncé. « Avant de lancer une initiative comme celle qu'a prise Nicolas Sarkozy, il eût fallu entendre, comprendre, faire une proposition qui puisse être acceptée par la Fondation pour la mémoire de la Shoah, les enseignants, les personnalités. C'est tout le contraire. Il faut en sortir (sic) ». Mais M. Hollande est là, qui se dit prêt à participer lui aussi à une réflexion sur cette question, cette fois dans le cadre parlementaire. Rien de moins ! On observera, sur le fond, qu’il n’est ici question de consulter que « la Fondation pour la mémoire de la Shoah, les enseignants, les personnalités (?) ».

Les parents ou leurs associations, évidemment, ne sont pas de la partie. Après tout, ce ne sont que leurs enfants qui sont concernés. Il s’agit d’une œuvre politique qui échappe aux parents. C’est une affaire d’ordre public relevant de “l’Education nationale”, imposée par volonté présidentielle, et il n’est pas question que quiconque ose suggérer qu’il en a assez de ces histoires, pour lui et pour ses enfants.


4.- Bien sûr, deux questions ne pouvaient manquer de surgir, de droite et de gauche : pourquoi un tel mémorial "scolaire" et pourquoi ce mémorial-là et pas un autre, ou d’autres ? Contrairement à ce que font hypocritement mine de croire ceux qui s’insurgent contre ces questions, il ne s’agit pas de nier l’insupportable souffrance des enfants juifs déportés pendant la deuxième guerre mondiale, ni l’horreur de l’idéologie qui l’a causée, mais de contester la nature et la vigueur d’une mesure exclusive destinée à être imposée aux consciences fragiles des enfants.

M. Sarkozy, qui n’est pas en peine d’imagination, oeuvrera-t-il de même pour les milliers de femmes et d’enfants massacrés lors du génocide vendéen ? C’est pourtant une “mémoire” sans doute infiniment plus menacée dans le souvenir collectif, et dont les causes s’enracinent elles aussi dans le fanatisme et la haine, ceux du premier des totalitarismes modernes – à supposer qu’il y en eût d’anciens. Ou pour le génocide arménien, dûment reconnu par la loi républicaine et pourtant très généralement ignoré des enfants, et que la Turquie continue de nier ? Entrera-t-il dans les « intuitions » du Président de faire enseigner bientôt dès l’enfance, dans les écoles, qu’une monstruosité appelée le communisme, a généré cent millions de morts de par le monde au XXème siècle et plongé des centaines de millions d’êtres humains dans l’esclavage ? Et pourquoi oublier, en référence aux persécutions nazies, ces milliers de personnes qui ne partageaient pas l’idéologie du régime, parmi lesquelles tant
de catholiques – prêtres ou laïques – qui ont été massacrés parce qu’ils étaient catholiques et s’opposaient, en tant que tels, pour eux-mêmes ou pour des personnes d’autres confessions, à la barbarie qui a submergé l’Europe ? Et les handicapés mentaux, que le régime nazi a éliminés et que notre société protège si mal quand elle n’autorise pas légalement leur disparition ? Et les nombreux chrétiens victimes contemporaines de fanatiques musulmans, et les victimes de l’esclavage, de l’apartheid, et celles des génocides rwandais, soudanais ou cambodgiens ne sont-ils pas des victimes innocentes dignes de mémoire et de compassion (au sens fort du terme) ? Et les populations indiennes des Amériques ? Et le peuple karen persécuté, dont les bien-pensants découvrent l’existence à proportion qu’il disparaît physiquement, parce que c’est très “écolo” de s’intéresser à une espèce en voie d’extinction ? Et les victimes de tous bords et de toutes races qui se sont vus arracher leurs terres et leurs droits par l’appétit orgueilleux et insatiable de leur occupant ? Evidemment, poser ces questions, c’est y répondre. L’énumération de ces horreurs, hélas non exhaustives, manifeste qu’on ne se souvient de rien si l’on ne souvient de tout et qu’il est insupportable de vouloir faire peser sur les épaules des enfants les misères et les péchés du monde.


5.- Le “devoir de mémoire”, s'il est exclusif ou sans limite quant aux modalités de sa mise en oeuvre, peut tourner en perversion moralisatrice de ce que jadis l’histoire suffisait à enseigner – quand elle était convenablement enseignée, comme « maîtresse de vie et de politique ». S’il s’exerce à bon escient, parce que notre société perd de fait sa mémoire [est-ce vraiment le cas, pour la tragédie évoquée ?], comme sa culture et ses héritages, et parce qu’on se montre pour l’heure incapable de réhabiliter l’enseignement de l’histoire à l’école et à l’université, ce “devoir de mémoire” est utile, qui peut concourir à forger une éducation respectueuse d’autrui, de sorte que des horreurs passées ne viennent pas à se reproduire. Mais les morts innocents jonchent l’histoire, victimes de la barbarie ou de l’idéologie, sans que l’on puisse en mépriser certains et donner l’exclusivité à d’autres. On doit également se tourner vers eux, surtout si l’on agit au nom des pouvoirs publics, sans s’autoriser à définir, de surcroît avec une telle vigueur, ceux qui doivent être publiquement mémorisés et ceux qui peuvent être oubliés. Un “devoir de mémoire” qui s’exprimerait en “trous de mémoire” sélectifs ne pourrait pas tendre à la paix qu’il prétend servir.

Et puis, croit-on sérieusement qu’il suffise de cette “mémoire” pour exorciser ad futurum les drames qu’elle est censée toujours rendre présents ? Cette naïveté procède de l’idée, séculairement éculée, que le savoir fait l’homme bon. Or l’histoire ne cesse de la démentir, jusque dans la vie de chacun de nous.  Sous quelques cieux qu’on vive, c’est la vertu, et la vertu seule qui rend l’homme bon, parce qu’elle le modifie dans le sens du bien. Le reste est illusion. Notre société, si riche des ses savoirs, est néanmoins une société qui cultive en elle la barbarie et la mort, parce qu’elle méprise la vertu et la vie, et il ne faudrait pas qu’elle soit beaucoup déstabilisée pour donner des fruits terrifiants. Ce dont les enfants de France ont besoin, pour l’heure, ce n’est pas de communier à des mémoires pour eux abstraites, ingurgitées par voies réglementaires, c’est de renouer avec
une éducation et un apprentissage des savoirs étayés par un apprentissage des vertus, individuelles et sociales, que soient eux-mêmes capables de dispenser dans l’école les maîtres auxquels ils sont confiés. C'est l'amour du bien et de la justice qui peut contribuer  le mieux à préserver les enfants des oeuvres de mort, pas la culture des mémoires sélectives, de quelque contenu qu'elles soient. Mais cela est un autre et vaste débat, car il faudrait déjà qu’il y eût des maîtres et des disciples, c'est-à-dire un système scolaire en rupture avec celui qui prévaut aujourd’hui.

En un mot, il nous paraît parfaitement légitime que cette mémoire de la Shoah soit conservée et que les jeunes générations soient informées, à travers son histoire, de ce que la folie de certains hommes a pu engendrer de souffrances pour le peuple juif, qui demeure pour nous le peuple de l’Alliance. Mais il nous paraît souhaitable qu'elle soit intégrée dans une pédagogie qui, pour être juste, ne fasse acception d'aucune souffrance. Cette folie, en effet, est multiforme, comme on le voit au travers de l'histoire sanglante du communisme, que les mémoires collectives couvrent encore de trop d'indulgences. Puisque le propos du "devoir de mémoire" est universellement de combattre cette folie monstrueuse, le meilleur moyen de la combattre, partout où elle pourrait à nouveau se manifester contre les sociétés humaines, est de donner aux enfants le sens du respect de toute personne, le sens de l'amitié, le sens du bien commun, le sens de la paix, ce que n'a jamais suffit à réaliser le rappel ou le culte des mémoires, comme l'actualité internationale ne le démontre que trop.


6.- Dans le cas qui nous intéresse, le procédé de la “mise en mémoire” projetée est d’autant plus choquant qu’il vise de jeunes enfants, pour imposer à leur conscience, par la sensibilité et l’émotion, la vérité que l’Etat entend y imprimer. Personne ne paraît trop se préoccuper, par ailleurs, du traumatisme qui sera causé à ces enfants en leur imposant de porter une responsabilité qui n’est pas la leur, qu’on le veuille ou non, et, inévitablement, la culpabilité partagée qui y est associée. On ne peut pas tout faire supporter à un enfant, pas tout lui montrer, pas tout lui dire, et il est inadmissible d’en faire l’instrument d’une politique.


On peut sérieusement s’interroger sur la motivation du Président de sortir de son chapeau une telle bombe, qui n’était pas même demandée par les intéressés. Ici comme ailleurs, on a le sentiment qu’il n’est soucieux que de donner des gages à tout le monde, peu important les conséquences, l’essentiel semblant être de démontrer simplement l’ampleur de ses "sincérités" et de ses infatigables engagements. Il est vrai, en l’occurrence, qu’il est plus simple d’invoquer sans cesse le passé en culpabilisant les générations futures, que d’agir concrètement là où on pourrait éviter que de telles horreurs se reproduisent et que des innocents soient martyrisés aujourd’hui. On ne paraît pas non plus avoir perçu que, jusqu’à preuve du contraire ou de plus funestes évolutions, les enfants concernés ne sont pas ceux de l’Etat, mais ceux de leurs familles, et qu’il pourrait bien se faire que nombre de parents décident d’entrer en résistance contre la manipulation de leurs enfants.

Cette manipulation des enfants et de l’histoire, l’instrumentalisation de la souffrance, l’irresponsabilité, la vanité [n’y a-t-il décidément rien d’autre à entreprendre en France pour « faire bouger les choses » !?], avec cet indicible malaise que crée ce cirque désormais permanent qui tient lieu de politique et dont on constate, avec tristesse, les rires et les haussements d’épaules qu’il suscite hors de nos frontières. A ce bruit, s’ajoute le gâchis. Car parmi les « intuitions » de M. Sarkozy, il en est certaines qui méritent considération, comme celle relative à la « laïcité positive » qu’il prône, laquelle concerne des enjeux actuels autrement plus sérieux et plus importants pour notre pays, auxquels les chrétiens ne peuvent être insensibles. Mais tout cela est noyé dans l'agitation permanente. Ces éléments-là pourraient bien sombrer avec M. Sarkozy, dans le fracas des sondages et la fuite des électeurs, si ce politic circus ne cessait pas.

Au fait, puisque nous parlons de "mémoire" et de "devoir de mémoire" : il nous vient à l'esprit qu'il n’était pas besoin de faire de la mémoire un “devoir”, jadis, pour que les gouvernants, de générations en générations, se souviennent que la roche tarpéienne est proche du Capitole.

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E
totalement d'accord avec vous. Vous montrez en plus qu'on peut parler de tout ça avec fermeté tout en gardant le respect. quel dommage que les politiques n'aient aucun courrage dans ces domaines ! Bien à vous.
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