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Hermas, la politique et la religion [VII] : la question liturgique

saintjean.jpgRémi Morin.- Nous arrivons aujourd’hui à notre septième entretien, après avoir finalement déjà brassé pas mal de choses…

Hermas.- Espérons que ce ne soit ni trop confusément, ni surtout trop erronément !

Rémi Morin.- Je voudrais revenir au blog, plus précisément, avant de conclure, peut-être, sur la question de l’engagement. Je sais bien qu’il faut se garder des étiquettes mais on a envie de vous demander : où vous situez-vous ? Quand on lit les articles publiés, on voit qu’en particulier vous avez consacré de longs articles à la question de la messe, au fameux Motu proprio de juillet 2007, et que vous avez formulé des appréciations assez sévères sur certains dirigeants des Scouts d’Europe à cet égard. Est-ce que tout cela n’est pas un peu “décalé” par rapport au projet politique d’Hermas et, si non, cela vous situe-t-il dans le camp “traditionaliste” ?

Hermas.- Sur le principe, vous avez raison de vous en tenir à cette règle : pas d’étiquette. Ça ne veut pas dire “pas d’engagement”. L’étiquette, c’est ce qu’on colle sur le dos de quelqu’un qu’on ne veut pas ou qu’on ne peut pas comprendre, pour le mettre dans une de ces petites boîtes qu’évoque la chanson de Graeme Allwright, vous savez ? C’est le rôle plus trivialement des gardiens de prison et des boutiquiers. Pour répondre à votre première question, et même si le propos peut paraître un peu provocateur, la messe n’est pas une question étrangère à la politique. Sur le fondement de toute la tradition spirituelle de l’Eglise, le deuxième concile du Vatican a eu ce mot magnifique : la messe est « le centre et le sommet de la vie chrétienne ».

Il en est ici de cette proposition comme de celle de Jean-Paul II au sujet de l’histoire, évoquée dans un entretien précédent : la prend-on au sérieux ? C’est une proposition qui est propre à réunir tous les courants de l’Eglise dans cette conviction que le sacrifice rédempteur du Christ est le point d’équilibre de toute l’histoire humaine et le centre de gravité de toute notre existence, en toutes ses actualisations. Si elle est vraie, alors l’activité publique, qui est une activité humaine, naturellement humaine, dans un monde créé par Dieu, et une activité de notre vie chrétienne, ne peut pas échapper à ce rayonnement christologique que les baptisés ont mission de seconder. Nous avons précédemment évoqué la figure de Maurice Schumann, qui aimait à se décrire aussi fou de la France que catholique romain. Son presque homonyme Robert Schuman – l’un des pères de l’Europe, qui disait que les saints à venir seraient « des saints en veston », a été forgé dans l’adoration eucharistique et n’aurait manqué pour rien au monde sa messe quotidienne, jusque dans ses activités ministérielles [rappelons que sa cause de béatification a été introduite en 1991]. Par piété personnelle ? Pas uniquement. Parce qu’il réalisait la vérité de ce qui a été énoncé par le concile. Vous savez, nous autres chrétiens avons tout, tout à gagner à unifier nos vies, à les rendre visiblement cohérentes en tout, jusque dans nos activités professionnelles et politiques. Le bien commun y gagnera nécessairement. La messe et la communion eucharistique sont un lieu d'édification de cette cohérence, par l'unité de la loi de la foi et de la loi de la prière.

Rémi Morin.- Cependant, cette conviction vous conduit à prendre parti, quand même, dans ces querelles autour de la messe ?

Hermas.- Prendre parti, oui, forcément. Comment en serait-il autrement ? S’engager en quoi que ce soit, c’est toujours choisir. La difficulté est qu’il y a de fait, en effet, des choix qui divisent. Pour la question que vous posez, où est le principe d’unité ? C’est cela qu’il faut toujours se demander. On vous reprochera toujours d’apporter la division, par exemple, quand vous secouerez des conformismes, quand vous viendrez troubler des bonnes consciences installées dans leurs habitudes. Vous ne l’avez jamais remarqué ? Pensez à l’effet produit par vos discours discordants, lors de ces repas d’affaire ou de famille, quand vous troublez le consensualisme obligé par vos propos sur l’avortement, le divorce, l’homosexualité, que sais-je ? En l’espèce, il est clair que le principe d’unité est à Rome, et pas dans telles ou telles officines. Théologiquement, c’est d’ailleurs la soumission au Vicaire du Christ qui constitue le critère du “schisme”, c'est-à-dire, étymologiquement parlant, du choix qui divise. Or, en l’espèce, la situation est parfaitement claire, au sujet de la messe. Sans revenir à ses détails, le Saint-Père se propose explicitement de mettre un terme à ce scandale insupportable (et pourtant si bien supporté par beaucoup !) de la division des catholiques sur la messe. Insupportable parce que l’eucharistie, précisément, est le sacrement de l’unité. Les exclusions qui émanent dès lors d’un côté ou de l’autre constituent, de ce point de vue, des contresens théologiques fondamentaux. Pour y parvenir, le Pape a eu recours à une distinction qui paraît bien un peu volontariste, entre forme ordinaire et forme extraordinaire de l’unique rite latin, mais qui…

Rémi Morin.- Volontariste ?

Hermas.- Oui, salva reverentia, parce qu’elle ne paraît pas correspondre à la réalité historique de ce que Paul VI avait entendu faire, en substituant le rite nouveau à l’ancien, afin d’établir avec lui le droit commun de l’Eglise universelle de rite latin. La distinction apportée par le Motu proprio de 2007 paraît, de ce point de vue, un peu forcée. Mais, après tout, peu importe. En matière de discipline liturgique prévaut cet adage : “Ce qu’un pape a fait, un autre peut le défaire”. Il est cocasse, à cet égard, de voir certains “progressistes” nier cette faculté, pour défendre l’exclusivité en quelque sorte de la messe de Paul VI, comme l’ont fait certains “traditionalistes” pour défendre celle de saint Pie V.

Rémi Morin.- La fin justifie les moyens ?...

Hermas.- Cette problématique n’a pas de sens ici. La fin est bonne, et elle n’a rien à justifier puisque les moyens sont eux-mêmes bons. Pour nous l’essentiel est dans la fin poursuivie : établir la paix, d’une part, et favoriser la réussite de la réforme liturgique, d’autre part, laquelle a généré souvent des abus et des infléchissements de sens et de sacralité qui sont patents. De notre point de vue, personne ne peut raisonnablement soutenir que cette double finalité n’est pas juste et souhaitable, pour le bien de tous. La distinction opérée par Benoît XVI a pour objet de l’atteindre, en rapprochant les communautés séparées, principalement dans leur lieu naturel de vie, qui est la paroisse, sous le contrôle du curé, et en rapprochant les formes liturgiques, appelées à s’enrichir mutuellement dans une cohabitation vivante et ouverte. C’est là, d’ailleurs, que pourrait le mieux se faire un “apprivoisement” réciproque et une réflexion commune sur d’autres sujets possibles de division, comme celui de la réception de certains textes conciliaires. Comment ceux qui s'opposent, en France, à cette réconciliation, ne le voient-ils pas ? L’expérience montre que, dans les paroisses, beaucoup de gens sont favorables à cette cohabitation. Un ami, récemment, qui n’est aucunement traditionnaliste, me faisait observer qu’il ne rencontrait jamais d’hostilité quand il l’évoquait autour de lui.

Notre position est là : entrer dans l’intention du Saint-Père. C’est par rapport à elle que se déterminent les comportements. Si nous défendons des droits reconnus, nous n’entrons pas dans un parti ; ce sont ceux qui les violent qui tentent de séparer ce qui doit être uni. L’accusation de “traditionaliste” ou “d’intégriste” que nous valent ces défenses est donc totalement inopérante. A l’occasion du décès de Dom Gérard Calvet, de l’Abbaye Sainte-Madeleine du Barroux, le pape a adressé un message, qui a été lu pendant la cérémonie des funérailles. Il a notamment souligné qu’il « rendait grâce pour l’attention de Dom Gérard à la beauté de la liturgie latine » - qui est, en l’occurrence, l’ancienne liturgie – et il a ajouté qu’elle est  « appelée à être toujours davantage source de communion et d’unité dans Eglise ». La tranquille assurance du pape est frappante, sur la conviction qui est la sienne de ce que le but qu’il poursuit sera atteint.

On ne peut pas, enfin, méconnaître cet aspect, qui intéresse plus directement notre sujet. Dans les enjeux considérables de cette époque, notamment politiques, la division actuelle des catholiques creuse des fossés inutiles entre des gens qui nourrissent de part et d'autres de grandes qualités de conviction et d'engagement. Comment et pourquoi ne pas souhaiter que tout soit entrepris pour qu'il soit comblé ? Ici comme ailleurs, c'est le sens du bien commun qui est sollicité - enrichi, de l'intérieur, par le sens des âmes.

(à suivre)
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