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« Monseigneur Lefebvre ? On le poussera au schisme ! » (10)

UN TRAIT DU CARACTERE DE MONSEIGNEUR LEFEBVRE



Le séminaire d’Ecône avait commencé au mois d’octobre 1970. Lors de la première Messe célébrée par Mgr Lefebvre, nous eûmes une grande surprise, désagréable, inattendue de sa part ! Le Prélat célébrait bien sûr la Messe de Saint Pie V, mais selon la réforme de 1967, c’est-à-dire dans sa forme la plus simplifiée, avec suppression de multiples signes de croix et génuflexions, avec l’Elévation de l’Hostie et du Calice sans la génuflexion préalable, la récitation unique du « Domine non sum dignus » avant la Communion, célébrants et fidèles ensemble etc. Je ne comprenais pas, pas plus que mes confrères ni les séminaristes, qu’il ne célébrât pas selon l’Ordo de 1965 au moins. Et je lui citai après la Messe, la boutade du Père Abbé de Fontgombault : « On commence par enlever la barrette et l’on se retrouve marié ».


C’est ainsi que je m’employais, avec respect, délicatesse, mais persévérance et fermeté à obtenir de Mgr Lefebvre qu’il célébrât la Messe de Saint Pie V à laquelle il tenait tant. Je servais de prêtre assistant à l’autel, et je luis « soufflais » ce qu’il fallait faire ; je l’entraînais à faire la génuflexion qui avait été supprimée, en prenant son coude et en le tirant vers le bas. Et ainsi, grâce à moi, ou à cause de moi, la Messe de Saint Pie V fut enfin célébrée à Ecône, à la grande satisfaction de mes confrères, des séminaristes, et des fidèles qui y assistaient, dont M. et Mme de Saventhem, qui venaient chaque matin de Montreux (à 60 km d’Ecône) pour assister à la Messe tridentine.


Je fus bien sûr satisfait de voir que le Prélat avait repris sans difficulté l’Ordo de Saint Pie V. Mais j’en ressentis une certaine surprise, un certain étonnement devant la facilité avec laquelle le « doux entêté » s’était laissé faire « une douce violence ». Je pense que c’est la seule fois ou presque, où je parvins à le faire changer d’idée. Non pas qu’il n’ait jamais changé d’orientation. Mais je remarquai bien vite chez lui une propension à se laisser porter bien volontiers vers une ligne plus dure que, seul, il n’aurait pas osé prendre, soucieux des réactions de son entourage.


M. de Saventhem (alors Président International « d’Una Voce International ») et sa femme, ancienne protestante convertie au catholicisme, avec qui je liais rapidement une amitié profonde qui a duré jusqu’à leur fin terrestre, me déclarèrent un jour : « Monseigneur Lefebvre (personne ne prononçait jamais son nom, Lefebvre ; il était devenu LE Monseigneur par excellence, si je puis me permettre ce jeu de mot !) est un homme qui penche toujours vers la tendance la plus dure. Nous le connaissons depuis des années, nous l’apprécions, et il nous estime. De lui-même, il ne s’y engagera pas. Mais s’il sent derrière lui un courant qui l’appuie, ou plutôt qui le pousse, alors il se laissera faire, en déclarant que ce n’est pas lui qui l’a voulu, mais qu’il a été poussé par les circonstances. Une manière de s’excuser en quelque sorte, ou de justifier sa position ».


Et de fait, pour expliquer la fondation de la Fraternité et du séminaire, Mgr Lefebvre déclarait toujours : « Ce n’est pas moi qui ai voulu fonder un séminaire ! Ce sont tous ces jeunes qui m’y ont contraint en s’adressant à moi, pour devenir de bons prêtres. Pouvais-je me dérober ? ». Et de même, pour justifier ses tournées de conférences dès le mois de novembre 1972, et les tournées de confirmation dans les diocèses sans informer l’Ordinaire, il invoquera le désir et le désarroi, (réels il faut le dire) des fidèles : « On ne donne plus la Bonne Parole aux fidèles dans les sermons ; les cérémonies de Confirmation sont faites en dépit du bon sens, parfois avec des rites fantaisistes (ce qui était vrai !). Alors, les gens me supplient de venir leur parler du Bon Dieu, de leur donner les ‘Sacrements de toujours’ ! En conscience, je ne puis le leur refuser. Je suis Pasteur, et la Providence me montre en eux le chemin à suivre ».


Il est important, il est capital de bien tenir compte de ce fait et de cette manière d’agir, lorsque l’on traite avec Mgr Lefebvre. Il ne faut jamais oublier cette tendance enracinée en lui, qui le laisse se porter vers la solution la plus radicale, ET JAMAIS LE CONTRAIRE. C’est ce que j’ai compris, ce soir de novembre 1972 lors de la réunion du Conseil des professeurs. J’AVAIS COMPRIS QUE MGR LEFEBVRE, UN JOUR OU L’AUTRE, CONSACRERAIT DES EVEQUES, SOUS LA PRESSION DES PRETRES ET DES SEMINARISTES, SOUS LA PRESSION DES FIDELES.


J’avais compris qu’il était inutile de se leurrer sur une éventuelle hésitation de sa part, dans la crainte qu’une partie de ses « fidèles » se détache de lui. S’il décidait un jour de consacrer des Evêques, pensais-je, rien ne saurait l’en faire changer, pas même un éclatement chez ses fidèles.


Il n’hésiterait pas, même devant le départ de séminaristes de son séminaire et de la Fraternité Saint Pie X ! En effet, les remarques précédentes valent même pour les séminaristes qui ne partagent pas toutes les orientations de Mgr Lefebvre, y compris les plus dures, et qui se trouvent déjà à Ecône. Ils ont déjà fait un choix : le refus catégorique des séminaires diocésains, et donc de l’orientation pastorale imposée par les Evêques dans les diocèses. Pour la plupart, la question du schisme ne se pose pas, ou plutôt, en allant à Ecône, ils ne veulent pas devenir schismatiques. Ce qu’ils recherchent, c’est une formation normale, une belle liturgie. A Ecône, ils trouvent de plus une Fraternité qui leur donne l’assurance d’un ministère futur dans des conditions normales. Ils ont donc coupé définitivement avec le « système » des Evêques et de leurs séminaires, et ils n’entendent y retourner à aucun prix. Que tout n’aille pas comme ils désirent, à Ecône, qu’il y ait des tensions, des menaces d’ordinations épiscopales, certes, cela pourrait en troubler quelques-uns. Mais « Monseigneur est là pour les rassurer en s’appuyant sur les expériences du passé », et grâce aussi à son « talent oratoire ».


Comment envisager sérieusement, et Mgr Lefebvre était fort conscient de ce fait, que des séminaristes pourraient le quitter s’ils n’avaient pas l’assurance FORMELLE qu’ils trouveraient au moins ce qu’ils trouvaient à Ecône : liturgie, formation, climat de confiance, de piété, avenir assuré sans être obligés de tomber pieds et poings liés dans les mains des Evêques de leurs pays respectifs ? Entrer à Ecône supposait un choix bien précis et très courageux. En sortir, supposerait un choix plus difficile encore, en raison des incertitudes qui pèseraient sur leur avenir sacerdotal.


C’est à tout cela que je pensais, ce soir-là, avec tristesse, après les paroles de Mgr Lefebvre : JAMAIS… OU ALORS… (à suivre)

Mgr J. MASSON

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