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La doctrine catholique et l'euthanasie (II) : le meurtre et le renoncement aux moyens disproportionnés

Ainsi que nous l’avons vu dans le premier volet de cette étude [Ici], le Dictionnaire de l’Académie française indique clairement, dans un premier temps, que l’euthanasie constitue formellement l’homicide volontaire d’un malade incurable. Pourtant, il cède bientôt aux confusions et aux contradictions du jour en distinguant aussitôt « l’euthanasie active », qui consisterait en  « l’administration de substances hâtant par elles-mêmes le décès » et « l’euthanasie passive », qui consisterait en la « suspension du traitement ou de la réanimation. » Moderne Dictionnaire que cette réédition en cours…

 
    Première confusion.- Si l’on s’attache à la première définition donnée par le même Dictionnaire – et nous avons vu qu’elle était fondée – l’euthanasie dite active constituerait un homicide actif et l’euthanasie passive un homicide passif. Quelle que soit la justification de cette distinction, la définition première impose de considérer qu’il y a, dans les deux cas, volonté de donner la mort, soit par action (directement) ou par abstention (indirectement ou “passivement”).

 
    Le problème est que si l’euthanasie dite active correspond effectivement à l’homicide volontaire direct, l’euthanasie passive, telle qu’elle est ici décrite par le Dictionnaire, ne correspond pas nécessairement à l’homicide volontaire indirect. On peut ainsi parfaitement admettre que l’on suspende volontairement un traitement sans que cela constitue une euthanasie, et donc un homicide. Tel est le cas si le traitement en question est disproportionné (1) au regard de l’acheminement certain du malade vers la mort. Dans la Déclaration “iura et bona” de la Congrégation pour la doctrine de la foi (1980), à laquelle nous avons déjà renvoyé, il est indiqué que « dans l’imminence d’une mort inévitable malgré les moyens employés, il est permis en conscience de prendre la décision de renoncer à des traitement qui ne procureraient qu’un sursis précaire et pénible, sans interrompre pourtant les soins normaux dus au malade en pareil cas » (IV). L’Eglise admet aussi qu’il est permis « d’interrompre l’application des [moyens médicaux] lorsque les résultats en sont décevants », en particulier parce que « l’investissement en instruments et en personnel est disproportionné aux résultats prévisibles, et que les techniques mises en œuvre imposent au patient des contraintes ou des souffrances hors de proportion avec les bénéfices qu’il peut en recevoir » (Loc. cit.).

 
    La distinction qui range sous une même appellation d’euthanasie des comportements qui en relèvent et d’autres qui n’en relèvent pas est donc inadéquate. Dans la mesure où elle prétend ainsi définir des situations qui se rapportent toutes à l'euthanasie, elle est fausse. En cohérence même avec la référence initiale à l’homicide volontaire, qui est exacte, seuls les actes qui ont pour objet de donner la mort, directement ou indirectement, relèvent de cette catégorie.

 
    Cette confusion est-elle consciente ? Il est permis de penser que non. Néanmoins elle existe. De fait, elle est entretenue par le Dictionnaire. De fait encore, elle est habituellement exploitée pour convaincre que, finalement, l’euthanasie a déjà des titres de légitimité, dans la mesure où elle permet d’éviter à des malades condamnés un surcroît démesuré de médicalisation. Autrement dit, on cherche ainsi à nous faire accroire que l’hostilité à l’acharnement thérapeutique constitue, déjà, une démarche d’euthanasie, et que celui qui « suspend un traitement » jugé disproportionné la pratique lui-même.

 
    Or cela est totalement faux. La renonciation à cet acharnement [qui constitue une pratique que l’Eglise réprouve] n’entre pas dans le champ de l’homicide volontaire, direct ou indirect. Il y a loin, très loin, d’un point de vue moral, entre renoncer à un moyen disproportionné ou inutile – auquel nul n’est jamais tenu – et la décision volontaire, arrêtée, de tuer un être humain. Vitoria le notait déjà en 1529 dans sa Leçon sur l’homicide. « En aucune manière il n’est licite d’abréger la vie. Cependant, il faut considérer (…)  qu’une chose est d’écourter la vie, autre chose est de ne pas la prolonger. En outre, il faut prendre en compte que si l’homme ne peut pas abréger la vie, il n’est cependant pas obligé de recourir à tous les moyens, fussent-ils légitimes, pour la prolonger ». Et il ajoutait un peu plus loin : « Le malade qui n’a pas d’espoir de guérison, bien qu’un traitement médical (aliquo pharmaco) coûteux puisse prolonger sa vie de quelques heures, voire de quelques jours, n’est pas tenu d’y recourir (illud emere). Il suffira qu’il utilise les remèdes communs » (2).

 
    Que conclure au regard de cette première confusion ? Deux choses.

 
    La première est que l’euthanasie est toujours, en toutes circonstances, un homicide volontaire, quelles que soient les circonstances, les explications ou les précautions dont on veuille l’entourer.


    La seconde est qu’il faut bannir de son vocabulaire cette distinction inadéquate et fausse de l’euthanasie “active” et de l’euthanasie “passive”, qui ne rend pas compte de la réalité, pour lui préférer celle d’euthanasie “directe” et d’euthanasie “indirecte”, qui définit exactement le champ de l’euthanasie dans la sphère de sa qualification morale, qui est celle de l’homicide.

(à suivre)

 ________________

(1) « Chacun a le devoir de se soigner ou de se faire soigner. (…) Faut-il cependant en toutes circonstances recourir à tous les moyens possibles ? Naguère, les moralistes répondaient qu’on n’est jamais obligé d’employer les moyens “extraordinaires”. Cette réponse, toujours valable en principe, est peut-être moins éclairante aujourd’hui, en raison de l’imprécision du terme et de l’évolution rapide de la thérapeutique. Aussi certains préfèrent-ils parler de moyens proportionnés et disproportionnés. De toute manière, on appréciera les moyens en mettant en rapport le genre de thérapeutique à utiliser, son degré de complexité ou de risque, son coût, les possibilités de son emploi, avec le résultat qu’on peut en attendre, compte tenu de l’état du malade et de ses ressources physiques et morales. » (Déclaration iura et bona, préc., IV).

(2) F. de Vitoria, o. p., De homicidio, Obras…, BAC, Madrid 1960, nn. 33 et 35, pp.1126-1127.

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